L’Ile de France n’est pas la plus réputée des régions de France en matière de trail. Qu’importe ! Une association du Val d’Oise a décidé de faire sienne la devise « on n’a pas beaucoup de relief mais on a des idées ». Leur terrain de jeu ? La forêt de Montmorency qui culmine à 192 mètres d’altitude, posée sur des meulières et des grès de l’Oligocène. Le concept ? Un dédale de chemins monotraces piégeux dans la forêt domaniale.
Mon frère François, traileur francilien, a participé à la 3e édition de l’épreuve en 2021.
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Je décide au printemps de m’engager avec lui sur le 43 km de l’édition 2022. Cela tombe bien, je fête mes 40 ans quelques jours avant l’épreuve. Je vais donc pouvoir tester avec lui ma forme à raison d’une bosse à digérer par année au compteur ! L’épreuve cumule 2000 D+. Au vu du relief local, on se doute que les organisateurs vont aller chercher le dénivelé au maximum pour atteindre ce chiffre. On ne sera pas déçus !
La veille de la course, les températures annoncées sont fraiches (2°C) si bien que l’organisation décide de rendre obligatoire le « kit grand froid ». Les conditions ne seront pas polaires mais, au milieu de la forêt humide, il vaudra mieux être bien équipé et ne pas trop s’arrêter. Pour annoncer aux participants les nouvelles conditions d’équipement, l’organisation poste sur la page Facebook de l’événement un message accompagné du clip « Fous ta cagoule » de Fatal Bazooka. Le ton est donné : apparemment les organisateurs ont autant d’humour que de talent pour choisir les chemins les plus vicieux du coin.
Nous arrivons à Saint-Leu-la-Forêt largement en avance pour retirer nos dossards le matin de la course. Cette année, une nouvelle course a été ajoutée au programme pour les plus déterminés : un 86 km (2 boucles de 43 km) avec un départ à minuit. Personnellement, je ne vois pas trop l’intérêt de cette version mais certains se sont laissés tenter. Le gymnase de départ/arrivée servant de base de vie pour cette course, nous voyons les coureurs ayant terminé leur première boucle.
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Pendant que certains se restaurent, je remarque une affiche collée au mur leur indiquant « Plus que 45 km ». Beaucoup de participants sont marqués par l’effort, boueux, et certains semblent même complètement hagards, totalement lessivés après plus de 7h à courir de nuit dans la forêt. Nous assistons à plusieurs abandons. Malgré une météo sèche (pas trop de pluie les jours précédents et aucune goutte le jour J), la forêt est très piégeuse, surtout de nuit, et nous sommes informés par l’organisation que de nombreux abandons ont eu lieu, souvent à cause de chutes ou de foulures. A ce moment-là, on se dit que l’on préfère clairement faire la boucle de jour et qu’il va falloir être vigilent. J’apprendrai durant la course que l’expérimenté traileur italien Luca Papi a, lui aussi, été victime d’une chute après seulement 10 km dans la nuit et a été conduit à l’hôpital. Après avoir fait un vol plané suite à une glissade il est s’est ouvert la main droite en retombant au sol.
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Le départ est donné à 8h30 en deux vagues. Nous avons décidé de faire au moins le début de la course ensembles tant que nos allures ne divergent pas trop. Le circuit monte rapidement en direction de la forêt. Du fait du nombre important de participants (560 inscrits), cela bouchonne dans les premiers lacets de la forêt. Au bout de 100m dans les bois, une première difficulté donne le la : un talus abrupt à descendre et son homologue à monter dans la foulée. Il faudra encaisser de nombreuses difficultés de ce type durant la course. Le parcours redescend ensuite vers la ville, dont les habitations sont pour beaucoup de belles maisons bourgeoises en meulière, pour mieux repartir dans les bois. Il faudra s’y habituer : le circuit est construit pour faire découvrir aux concurrents toutes les meilleures montées du coin. Chacune des montées fait entre 20 et 50 m D+ mais il faudra en enchaîner beaucoup pour rallier l’arrivée.
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Les sensations ne sont pas très bonnes dans les premiers kilomètres. J’essaie de garder un rythme correct sans me griller pour la suite de la course. Je marche pas mal de montées dans cette optique. De toute façon, les premiers kilomètres sont encore un peu embouteillés et il n’est pas possible de faire bien différemment. Il faut aussi veiller à ne pas tomber. A part deux petites frayeurs dans la première grande descente, cela se déroule bien. J’arrive avec mon frère au premier ravitaillement qui semble surgir au milieu des bois autour du km 13. Vu la distance parcourue depuis le départ, ce ravitaillement n’a pas grand intérêt pour les coureurs du 43 km. J’ai pris suffisamment de réserves pour tenir jusqu’au principal ravitaillement du km 20. Les chemins sont désormais plus dégagés et je réalise que les sensations sont également meilleures. Je dépasse sans trop de difficultés plusieurs concurrents en courant mais aussi dans les montées marchées sans avoir le sentiment de peiner. Mon frère commence à décrocher un peu dans les côtes. Il a eu des pépins physiques dans les semaines avant la course et est arrivé sans préparation. Je me doute que je vais devoir partir devant dans la deuxième moitié de course.
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Cette année, les organisateurs ont dispensé les concurrents de passer les pieds dans l’eau et l’échine courbée par un petit tunnel de leur cru, sorte d’hommage local à la Barkley. En revanche, vers le kilomètre 18, le parcours passe au « Pont du Diable », un raidard emblématique de la course par lequel il faudra repasser au km 40 avant un retour bien mérité à Saint-Leu. J’arrive au ravito du km 20 installé dans une école à Taverny. Je mange un peu, recharge mes flasques et repart rapidement accompagné de mon frère qui a réussi à me rejoindre. Sans surprise, il faut rapidement monter à nouveau vers la forêt pour aller chercher de nouvelles bosses. A la mi-course, dans une montée raide où j’ai déjà pris pas mal d’avance sur mon frère, je décide d’augmenter l’allure car je me sens encore bien et j’ai envie de voir ce que j’ai dans les jambes. A partir de maintenant, les montées peu pentues seront toutes courues, les montées marchées seront plus appuyées et les relances sur les parties planes seront plus franches. Rapidement, je m’aperçois que je rattrape beaucoup de coureurs. Ceux-ci peinent dans les montées raides et ne prennent depuis longtemps plus les faux plats en courant. A partir du km 27, le parcours passe par une interminable montée en zig zag autour d’une ligne haute tension qui traverse la forêt (une autre portion inspirée de la Barkley ?).
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J’arrive au ravitaillement du km 31 après avoir gagné une centaine de places. J’ai prévu de faire un arrêt éclair à ce ravito qui ne propose que du liquide car j’ai assez d’eau pour finir la course. Je prends tout de même le temps de m’alimenter avec mes réserves personnelles mais repars vite avant de me refroidir. Je continue sur le même rythme et gagne encore des places. A partir du km 35, je sens la fatigue monter graduellement. Cela fait déjà bientôt 30 kilomètres que je tourne dans cette forêt sans avoir la moindre idée de l’endroit où je me trouve. Cependant je m’efforce de ne pas y penser et reste concentré sur le tracé (petit clin d’œil aux joueurs de football qui « prennent les matchs les uns après les autres »). Je ne suis déjà plus trop loin du but. Petit à petit, les coureurs deviennent plus difficiles à dépasser. Ils ne sont plus désunis comme leurs prédécesseurs et ont toujours les ressources pour prendre quelques montées en courant. J’encourage des coureurs du 86 km qui, souvent munis de bâtons, peinent depuis 12 heures sur ce tracé. Je me fais la remarque que ce sont bien eux qui ont signé pour souffrir sur cette épreuve exigeante.
Ma montre approche des 40 kilomètres au compteur. Je commence à me demander quand on va redescendre vers Saint-Leu-la-Forêt car en théorie la course fait 43 km. Je demande à des bénévoles qui m’annoncent 5 km avant l’arrivée. Vers le km 43, il faut à nouveau passer par le Pont du Diable. Le deuxième passage fait nettement plus mal aux jambes mais ça va encore, l’écurie est proche. On nous annonce 1,5 km avant l’arrivée puis, 1 km plus tard, il reste encore 1 km à parcourir ! En gros, personne ne sait exactement combien il reste avant l’arrivée. Comme d’habitude… Au km 45, je sors de la forêt et retrouve la civilisation… jusqu’au moment où je m’aperçois que l’organisateur, décidément taquin, a encore placé une petite boucle de 500 mètres en forêt. A ce stade-là, c’est autant pour mettre à l’épreuve le mental du coureur que pour faire du D+ ! Après cette facétie, je peux enfin descendre à grandes enjambées vers l’arrivée. Les premiers concurrents du 10 km me dépassent à toute allure dans les derniers hectomètres. Dans le dernier virage, un coureur du 43 km que j’avais dépassé un peu plus tôt me dépasse en piquant un sprint. Il sera le seul coureur de mon épreuve à m’avoir dépassé depuis le kilomètre 20. Après avoir fait une remontée d’environ 180 places, je termine 133e sur 450 partants en 6h15 avec un peu plus de 46 km et 2100 D+ à ma montre. Mon frère arrivera 1h après moi faute d’avoir pu maintenir son allure de la première moitié de course. Je l’attends pour déguster avec lui le hotdog proposé aux arrivants qui est apparemment une spécialité de cette course (je confirme qu’il est bon). On ne s’attarde pas sur la ligne d’arrivée car il fait froid et je dois rentrer à Poitiers dans la soirée.
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Cette course a été une expérience positive pour moi car j’ai pu participer pour la première fois à un trail avec mon frère. Sur le plan de la performance, j’ai été satisfait de ma course que j’ai su mener crescendo en contrôlant mon effort et sans trop subir le parcours. Je pense avoir passé avec succès la « révision des 40000 km ». Même si ma préparation en novembre a été un peu tronquée, le travail fait depuis septembre a payé : mon endurance et ma vitesse en course ont nettement progressé. Ce trail s’est révélé bien organisé avec un notamment un très bon balisage (pas évident de gérer 46 km de balisage en forêt avec de très nombreuses intersections !) et de super bénévoles. Mention spéciale pour le hot-dog à l’arrivée qui fait vraiment du bien (la bière qui va avec aussi d’ailleurs).
Pour résumer, les 40 bosses c’est plutôt pour vous si :
-vous aimez courir en forêt
-vous n’êtes pas allergiques à la boue et au froid
-vous appréciez ou tolérez les montées en répétition
-vous êtes prêts à courir sur une trace tortueuse concoctée par des organisateurs un poil vicieux et fans de Lazarus Lake.
Ce trail n’est pas pour vous si :
-vous pensez à tort que les Franciliens sont des cons
-vous pensez qu’aucun trail digne de ce nom n’est organisable en Ile-de-France
-vous détestez tourner en rond dans une forêt sans savoir où vous êtes
-vous n’aimez pas les hot-dogs
Olivier Chavasseau
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