Tor Des Géants
Par Vincent Hulin
EPA 86
130eme en 121h18
Qui va piano va sano va longo
Pour réussir le Tor Des Géants : Pas de mystère...
Ça y est je viens d achever le top 4 que je m étais fixé en me lançant il y a deux ans dans le monde de l ultra Trail (Diagonale Des Fous, UTMB, Marathon Des Sables et donc le Tor Des Géants ) c est un sentiment un peu bizarre : je ne réalise pas encore vraiment ( si je suis arrivé il y a plus de 24h, d autres concurrents sont encore en course et la remise de la veste de Finisher c est pour demain midi ) et c est un début de sensation de plénitude de se dire qu on réalise les objectifs fixés, qui plus est : sans accrocs, sans blessure, je le vis comme un privilège. Et maintenant ? Y aura-il un "Baby Blues" post ultra ? J ai envie de savourer, de lever le pied, et d'autres défis il y en aura toujours à aller chercher.
La présenter comme la course de montagne la plus dure au monde n est pas usurpé ! le Tor des Géants (TDG) affole par les chiffres : 330 km, 24.000 m de dénivelé positif et au mieux environ 40% d abandons. En m alignant sur l épreuve j ai une appréhension: le dénivelé : mon corps, mes muscles vont ils répondre présent pour monter et descendre l équivalent de 3 fois l Everest en partant du niveau de la mer ?
Pour cet ultime défi et plus que sur les autres je viens à Courmayeur pour finir, le classement n est qu accessoire (mais bon si ça se passe bien j aimerai assez entrer dans les 200 premiers)
Le week end d avant j étais à fond derrière les copains qui couraient à Chamonix les différentes épreuves dont l UTMB et je me surprend à être impatient d en découdre avec le TDG , ce qui n est pas du tout dans mes habitudes.
Sur la ligne de départ avec l'ami Gilles (binôme essentiel et incontournable) nous respirons le bonheur immense d'être là dans ce décors somptueux de la vallée d Aoste. On sait que l aventure va être belle et pure. Les premières heures se déroulent à merveille, nous établissons un bon petit tempo laissant les brûleurs de cervelle nous doubler n importe où n importe comment, courir là où il est plus raisonnable de marcher. On s amuse d ailleurs à garder en tête ces numéros de dossard que l on doublera largement par la suite comme on pouvait s y attendre. Très souvent Gilles est devant surtout dans les montées et moi parfois dans les descentes. Une fois encore pas besoin de beaucoup se parler on observe les mêmes choses, on sent la course de la même façon on s applique sans se le dire les mêmes consignes. Exemple pas plus de 5 mn au ravito c est suffisant et on repart en grignotant des petites choses chapardées sur les tables. L avantage d être à deux c est surtout être là quand le copain a un coup de moins bien, et ça va vite se vérifier. Sur une session ( le TDG est découpé en 5 bases de vie ) nous enchaînons 3 ascensions à la suite dont une de 2000 m et deux à plus de 3000m. Ça fait plus de 24 heures que nous sommes partis et nous allons connaître chacun notre tour un gros coup de mou. Je suis le premier à frôler la correctionnelle! Je suis scotché dans la montée ! Plus de jus, plus de force je peine à mettre un pied devant l autre et j avance à la vitesse d un alpiniste dans les derniers mètres d un 8000! Le souffle est court et il devient même haletant comme un manque d oxygène. Vite je fais un rapide shake up : je me suis bien alimenté régulièrement pareil pour l hydratation, ce n est donc pas ça. Une piste s impose c est un premier coup de fatigue, donc pas de panique forcément il faut accepter ce fait de course et savoir se montrer patient! Au moment où ça commence à aller mieux c est Gilles qui a son tour, se retrouve englué dans la montée suivante. On se parle, on se rassure on se remonte le moral. Alors que l on trouve notre vitesse de croisière un invité insidieux, fourbe et pas marrant du tout s invite (comme trop souvent) dans les chaussures de Gilles j ai nommé : l ampoule! Au 103eme km à la base de vie de Cogne Gilles me dit qu il a un soucis d échauffement aux pieds! Il m annonce qu il va traiter ses ampoules mais que c est pas bon pour la suite: c est le choc ! Il est hors de question que cette aventure ne se termine pas à deux ! On décide de repartir ensemble mais ça ne va pas, Gilles est déçu pour lui, pour moi, pour nous. Le regard embué il m annonce sa décision : il va devoir abandonner....et c'est les larmes aux yeux qu on se serre et il m ordonne d aller chercher "cette putain de veste "de Finisher. Dans ma tête c est le bordel : je suis extrêmement déçu pour mon copain, j appréhende maintenant de devoir poursuivre l aventure seul et en même temps pour moi et aussi pour lui je me fais un devoir moral de me sortir les....pouces du gilet pour être Finisher.
Finalement même seul, le tempo reste le même, la stratégie au ravito identique, la gestion du sommeil la même. A chaque base de vie, je retrouve mon désormais assistant-coach. Petite douche, massage des mollets et des quadriceps (essentiel selon moi) un repas chaud et un dodo. Problème je n'arrive jamais à dormir plus d une heure, donc je fais avec. Alors tant mieux car comme ça je ne perd pas trop de temps mais problème je vais tout au long de la course hypothéquer mon capital sommeil! Je vais donc compenser avec ce que j appelle "la sieste bout de table" : de temps en temps dans les gîtes, les refuges je prend une boisson chaude (soupe, thé ...) parfois un plat (pâtes, polenta) et je croise les bras sur la table j y pose ma tête et je ferme les yeux pendant 5 à 10 mn...suffisant pour repartir et repousser encore un peu plus loin l échéance.
La montagne la nuit, surtout par pleine lune, dégage une douceur romantique mais il ne faudrait pas grand chose pour que ça vire au cauchemar. Après quatre nuits "blanches" je me retrouve durant quatre longues heures à enchaîner les sommets et les cols mais sans jamais redescendre vers la civilisation! dans la nuit noire je suis seul, le chemin en balcon fait parfois 50 cm de large et à côté c est le vide. Je me mets à avoir peur ! Je suis crevé par l effort physique, j ai un manque cruel de sommeil, mes gestes ne sont plus aussi précis, mes poses de pied plus aussi naturelles et là j ai l abime à portée de bâtons....surtout ne pas paniquer ! Je décide à me parler à haute voix, à positiver et même à m engueuler quand je n assure pas un bon appui dans un passage délicat. Ça vous fera peut être doucement sourire mais sérieusement j ai pensé à la mort....et si je devais basculer dans le vide comme ça, toc , sur un mauvais geste. Non ça serait trop con!
On a tous vécu, surtout au volant un manque de sommeil, de se dire tient là faut que je m'arrête ça va pas! Et bien moi j ai voulu aller encore plus loin et ne pas m arrêter sur un parking pour pousser encore un peu plus loin la machine! sur une partie non dangereuse ( un large chemin forestier dans la plaine) j évolue en mode marche sportive, mais je me rends compte que je ne suis plus lucide, je n avance pas droit, je lutte contre le sommeil et c est abominable, cruel, j aimerai tout arrêter me coucher sur le bas côté, mais une infime partie de mon cerveau s y refuse. Il faut continuer, tenir, aller de l avant! une ultime idée lumineuse surgit alors: j ai mon téléphone et du coup de la musique ! Je ne suis plus seul, Étienne est avec moi! Je pose le portable dans ma capuche bien près des oreilles et je passe en boucle et en chantant à tue tête en pleine forêt italienne du Daho (dont Week End à Rome).
Et puis j ai des nouveaux amis qui s invitent dans la course et qui ne me lâcheront plus, je veux parler de personnages de bande dessinée ! J en vois partout tout le temps: ce ne sont plus des arbres, des rochers, des nuages, non ce sont des personnages de BD! Mais le pire c est qu à un ravitaillement je dis très lucidement à Gilles :" t as vu tous ces personnages de dessins animés ? C est sympa ! Gilles me répond : non. C'est un arbre. J écarquille les yeux et désolé (vous ne me croirez peut être pas ) mais je ne voyais toujours pas l arbre mais bel et bien mes amis imaginaires ! ( a moins que Gilles m ait menti mais je n ose pas y croire).
Physiquement, enfin je veux dire musculairement tout va bien et je n en reviens d ailleurs pas! Je maltraite mon corps depuis 120 heures et il répond toujours présent. Si la douleur est présente la souffrance, elle, n est pas là. (Sauf le manque de sommeil). J arrive à Bertone, dernier ravitaillement avant l arrivée finale et je suis d une fraîcheur physique inespérée. La première partie de la descente est un peu technique ( et c est pas trop mon fort) mais je décide (enfin) de jouer et de me lâcher ....je descends à bloc et ramasse du monde! des coureurs qui descendent prudemment, d autres qui grimacent à chaque fois qu ils posent le pied par terre. Et moi je les laisse sur place, c est indécent mais tellement jouissif! Sur le plat je suis à 13 à l heure (comme mon finish de l UTMB) je déboule dans les rues chaleureuses de Courmayeur il est un peu plus de 11h du matin et les longs applaudissements du public boostent encore un peu plus. Je franchis le portique final et c est plus la vue de Gilles qui me fait monter les larmes que le reste. Des larmes qui m étaient venues parfois en course en lisant les sms d encouragement des amis ou en entendant la voix de ma chérie. Voilà c est fait. Il est 15:45 nous sommes le samedi 13 septembre 2014 et le dernier concurrent doit encore franchir la ligne d arrivée: quel mérite !!!