PAR VINCENT HULIN : 154ème en 35h08'01"
Ca y est le marathon des sables, (MDS pour les intimes ) arrive à grands pas...le stress monte, ce n'est pas la prépa (elle a été bonne, pas de pépin physique ) le mental (il est toujours là et surtout sur ce genre d'épreuves), non c'est le sac à dos. Pascal Duchesne et Christian Baigue, ainsi que tous les comptes rendus sur le net le disent : il faut un sac le plus léger possible pour pouvoir courir ! la veille du départ il fait encore 10 kilos ...le chiffre semble hallucinant par rapport aux 7 et 8 kilos annoncés ici ou là...je ne comprends pas.
j'ai une "veste-sac de couchage" hyper performante, pas de fringues de rechange, pas de réchaud...le matos obligatoire, la bouffe lyophilisée que j'ai reconditionné, (en gagnant mine de rien 100 gr par jour) et oui d'accord quelques saucissons et 400 g de noix de cajou, mais bon rien de scandaleux non plus....ce poids est mon seul moment de doute.
Je mettrai finalement 3 jours à alléger considérablement ce sac pour enfin pouvoir commencer à courir et avoir moins mal aux épaules.
A l'aéroport d'Orly, la pression monte d'un cran : les coureurs arborent quasiment tous le sac jaune et noir MDS (franchement idéal et bien fait pour cette épreuve). Chacun se jauge, comme les coureurs du 100 m dans la chambre d'appel. "Lui il m' a l'air sacrément affûté", "celui là, je suis sûr que je vais le bouffer il n' a pas l'œil du tigre"...avec nos 3 tenues identiques "io sogno / handicap 2000" on a la classe avec les potes !
Une fois arrivés à Ouarzazate, quelques heures de car plus loin, nous voilà lâchés dans le désert au milieu du bivouac à chercher de la place pour 3, et là autant dire c'est la roulette russe. Punaise, quel bonheur d'avoir tirer le multi-ticket gagnant : 3 Cht'is, un marseillais vivant au Moyen Orient, et une française expatriée depuis quelques années à New York.
Vous rigolez mais quand il faut partager votre intimité et votre confort précaire avec des inconnus pas évident. Que je fasse ma toilette intime avec une lingette, pendant que Cédric à mes côtés est en train de manger son taboulé, est une chose, que Gilles explose ses ampoules pleines de sang, alors que je déguste mon müesli, c'en est une autre. Mais partager les ronflements et autres bruits nocturnes entre Lille, Marseille et New York c'est quand même autre chose.
C'est drôle quand on s'élance ce dimanche matin, vers les dunes gigantesques, à aucun moment avec Gilles et Cédric nous avons évoqué la "stratégie"' de chacun. Pas d'ambition de classement déclarée, et surtout pas "on court ensemble", "on s'attend" ou encore "chacun pour sa gueule". J'ai tellement lu des comptes rendus où des types regrettaient d'avoir attendu des heures entières des potes à la traine, ou d'avoir pesté après des compagnons qui n'avaient plus les jambes," que je ne veux surtout pas imposer ça au team io sogno.
En fait chacun court à son rythme, pour lui mais aussi pour l'équipe. Et comme la nature fait bien les choses, je vais partager de longs moments de cette aventure avec Cédric et encore plus avec Gilles. Vous savez être capable de courir avec un pote, l'un à côté de l'autre, au même rythme, en osmose, sans avoir besoin d'échanger le moindre mot, comme si chacun souffrait au diapason avec l'autre. Un petit regard de temps en temps qui en dit long, quand le soleil vous brûle la peau, que la chaleur vous accable...à deux dans la même galère. Et puis le petit plaisir, la petite délivrance qui va bien, quand on se tape dans la main à chaque CP (Check Point) que l'on franchit ensemble.
Jour 1 : la 1ère étape je la vis, moyennement bien et le sentiment est mitigé. D'un côté le poids du sac qui me pèse, la chaleur que je dois apprivoiser, l'eau que j'apprends à rationner. Et puis il y a ce sable, ou plutôt ces sables. Il y a le dur, très digne, efficace qui permet de courir. Le tendre, le fin, le sensuel, qu'il faut caresser de sa chaussure. Et puis il y a le mou, un peu mesquin, celui qui t'empêche de courir convenablement mais qui t'use les neurones après des heures (un coup à vous réveiller de colère le marchand de sables ! )
Jour 2 : la 2ème étape est belle, moins par le paysage que par le fait, de finir avec Gilles et Cédric main dans la main. Franchement finir seul, (même si on est devant les potes) n’a pas la même saveur. C'est drôle cet espèce de sentiment mi viril, mi fleur bleu, de se congratuler avec ses compagnons d'aventure, ce moment où tu te dis "on est en train de vivre un truc de dingue, et on est ensemble".
Jour 3 : ça va déjà mieux, j'ai appris à tolérer la chaleur et à moins subir le soleil, je prends mes pastilles de sel régulièrement (au moins 2 par heure) j'ai compris qu'il fallait boire au CP mais aussi rafraîchir la machine en m'aspergeant le corps. Le sac est déjà moins lourd, la foulée est un peu plus efficace. Et finalement, quand avec l'ami Gilles nous ne sommes plus tout à fait dans le même tempo, j'allonge la foulée. Les sensations sont bonnes, je ramasse un peu de monde, et me dis que dans le pire des cas, si je dois le payer un peu plus tard, les potes me ramasseront à leur tour. Il fait au moins 40 degrés à l'ombre, les coureurs devant moi marchent de plus en plus. Moi je me mets en mode "Warrior", petite foulée rasante, que j'essaie de rendre au maximum efficace. Alors qu'il serait plus simple de faire comme les autres et me reposer un peu en mode marche active, j'ai envie de pousser un peu la machine dans les tours. Il suffit de croiser le regard interloqué du mec que je double pour me dire : "c'est bon ça ! tu viens encore d'en passer un ! "
Quand j'arrive seul au campement, je suis un peu démuni, Gilles n'est pas là pour m'attendre, je ne sais pas où il en est, les tentes sont très peu occupées autour de moi.
Jour 4 : c'est la fameuse longue étape, qui fait tant peur à tout le monde. A nous ? Pas sûr. Le team io sogno, va bien, on est entre la 150ème et 205 ème place au général, c'est carrément bien, et à part les pieds qui commencent à déguster chez Gilles et Cédric, ces 81 kms ne nous font pas peur. Sans en parler, sans le décider, avec Gilles nous partons ensemble comme la veille, en ayant forcément dans le coin de la tête l'idée de faire "la longue" ensemble, car on aura sûrement besoin l'un de l'autre. Le binôme fonctionne une nouvelle fois à merveille. Dans notre tête nous ne pensons pas aux 81 kms, mais nous découpons la journée en 6 tronçons qui correspondent aux 6 CP.
Parfois la lassitude du terrain ou du paysage nous tirent quelques paroles, nous les "montagnards". La forme est là , je suis surpris qu'on puisse trottiner plus de 2 heures à petites foulées sans s'arrêter, à un rythme régulier avec un sac sur le dos par cette chaleur. On double mais on se fait aussi doubler par des étrangers adeptes du "stop and go". Ils vont d'un coup courir à 0.5 ou 1 km/h de plus que nous et nous doubler, pour finalement, 50 ou 500 m plus loin, s'arrêter et se mettre à marcher lentement. Au plus fort de l'après midi, le soleil nous cogne dessus, il est 15h et nous sommes partis à 9h. Avec Gilles d'un commun accord nous faisons une pause de 3/4 d'heure pour refaire les niveaux : repos à l'ombre d'une tente, et petite tambouille : compote et dessert au caramel pour moi. Cédric arrive à son tour et décide de ne pas s'arrêter par peur de ne pas pouvoir repartir. C'est un calcul. Finalement, le repas se digère bien, et nous remontons au fil des heures un peu de monde. Je n'ai jamais autant rêvé de ma vie que le soleil disparaisse pour que la fraicheur tombe. Il est 20h quand nous apercevons la lumière du bivouac, on le voit, il est là ...youpi ! ...il nous faudra plus de deux heures pour l'atteindre ! Mais nous finissons cette longue étape heureux d'arriver, après des périodes de lassitude (notamment à devoir essayer de courir à la lueur de la frontale dans un sable meuble...croyez moi à la fin c'est un peu...agaçant...)
Sur cette étape " on n' a pas amusé les patates à la cave" et pourtant petite déception, le classement général semble figé : je dois gagner quelques places tout au plus, donc ça veut dire que mine de rien je me suis donné, mais d'autres aussi devant moi.
Jour 5 : journée de repos et la fameuse canette de coca qui te réconcilie avec la vie. C'est quand même hallucinant de savoir que nous sommes arrivés la veille à 22h30 que là il est plus de 16h et certains concurrents n'ont toujours pas franchi la ligne d'arrivée. C'est sûr, ils ont plus de mérite que nous. Cette journée de repos me fait du bien. On se réhydrate, on se détend, la longue étape est passée, le dernier marathon reste une formalité, et on sait que le classement général ne va plus bouger maintenant. Même si l'ambition est d'être finisher, se retrouver dans les 200 premiers (sur 1 050 au départ) est assez inespéré et jouissif.
Jour 6 : dernière étape chronométrée avec un marathon. Privilège du classement avec Gilles nous partons dans la 2ème vague des 200 premiers, une heure après les autres concurrents. Etrange de se frotter à l'Elite. Quand le départ est donné, ça galope vraiment fort. Assez rapidement, les deux prudents que nous sommes, se retrouvent en queue de peloton, avec juste une 20aine de coureurs derrière nous. Les premiers 12 kms nous les faisons ensemble et on savoure. J'ai des jambes de feux, mon sac est tellement léger que j'arrive à l'oublier. Gilles sent que je suis "chaud patate" et me donne mon bon de sortie ! Il reste 30 bornes, et je lâche les chevaux. Non seulement je vais bien mais je commence à remonter inexorablement les coureurs de la 1ère vague : pour le mental c'est énorme !
Je ne cours plus, je galope, je suis euphorique. Je jette mes dernières forces dans la bataille, et je ramasse encore des concurrents dont certains sont contraints à la marche sûrement à cause de l'état de leurs pieds.
Je franchis la ligne d'arrivée. Je suis heureux. Je l'ai fait. Après la Diagonale des Fous, l' UTMB, je mets un point final au triptyque avec ce Marathon Des Sables. Pour autant l'émotion ne m'envahit pas. Je n'ai pas franchi la ligne avec mes potes de la Team, je n'ai pas puisé dans mon physique ni même mon mental. Finalement les larmes viendront le soir même, lors du concert de l' Opéra de Paris. Je relâche la pression aux notes de "Casta Diva" de Norma. Je revois ma préparation chronophage pour mes proches. Sophie m'a soutenu, accompagné, et a compris combien cette course était importante pour moi. Une intelligence rare. Elle, l’ancienne sprinteuse arrive à tolérer et à partager la vie passionnée d'un ultra coureur comme moi. Je ne la remercierai jamais assez, ça y est c'est l'occasion.
Un grand merci aux copains de club et aux amis, pour leur soutien avant et aussi pendant le MDS, la lecture de vos mails a été la chose la plus réconfortante durant cette épreuve (j'en aurais chialé!)