Six mois qu’il n’a pas plu et une tempête tropicale est annoncée. Je veux bien que cette 20ème édition soit arrosée comme il se doit mais quand même ! Après avoir longuement piétiné aux contrôles des sacs (vérification du matériel obligatoire : frontale avec piles, couverture de survie, sifflet, deux bandes élasto de 2m50 chacune, de l’eau, de la nourriture, un coupe-vent) nous voici dans le sas de départ.
Trop tard pour reculer !
Kiki est sans doute noyé aux avants postes. Avec Jacky, Xavier et Jean Pierre nous organisons un sit-in, histoire de ne pas trop fatiguer nos jambes. Il est 22heures en ce jeudi, et les premières gouttes apparaissent, voilà de quoi rafraichir quelques peu nos ardeurs. Dans ce peloton ça transpire la testostérone !
Avec Jacky et Xavier nous partons à un bon petit rythme, histoire de s’échauffer mais de doubler des coureurs sur cette partie de route, car après, pour la montée du Volcan ça sera trop tard. Il fait nuit noire et les Réunionnais sont nombreux et très chaleureux au bord de la route, un avant-gout de ce qui va nous attendre durant ces 170 kms.
Malgré notre bon tempo nous sommes un peu bloqués et parfois obligés de stopper notre progression (le phénomène de l’accordéon sur le périf, pour ceux qui connaissent).Après avoir suivi Xavier de près et de l’avoir poussé aux fesses (au sens propre si je puis dire) j’ai des fourmis dans les jambes et commence à dépasser en douceur des concurrents un peu moins rapide que moi à partir de Foc-Foc. De retour sur le plat je poursuis sur ma lancée et double des coureurs qui en grande majorité ont déjà opté pour la marche rapide. Durant de très longues minutes, je ramasse des dizaines et des dizaines de trailers. Un peu euphorique, je ne veux pas trop m’enflammer, histoire de ne pas le payer plus tard. C’est ce qui va arriver. En fait je ne m’en rends pas compte mais j’en dépasse des centaines !
A la montée vers le Piton des neiges, l’eau ruisselante commence à alterner avec la boue de plus en plus présente et tiens, tiens, je commence à mon tour à me faire doubler. Cette ascension est cassante, harassante, épuisante, d’autant qu’elle n’en finit pas ! Au poste de ravitaillement suivant je me refais la cerise, avec une pincée de sel dans un verre de coca, un verre de soupe que je finis en marchant. A chaque ravito d’ailleurs, je ne m’arrête pas plus de 3 mn. (c’est toujours quelques places de gagnées non ?)
La première nuit se passe sans encombre, la progression est bonne, les sensations aussi. Je suis très concentré sur mon alimentation et mon hydratation extrêmement régulière. J’arrive à Cilaos vers 14H30, et j’apprends de la bouche de Véro et Béné (les épouses respectives de Jacky et Xavier) que je pointe dans les 800 premiers ! J’ai du mal à y croire. Alors si en plus de finir le Grand Raid je peux me situer à ce classement là…Douche au stade, massage histoire de, car finalement je n’ai pas mal aux jambes (ou alors juste l’envie de me faire tripoter, vas savoir ?) En revanche mes pieds sont « pourris », depuis la veille au soir, ils macèrent dans mes chaussettes trempées. Là rien à faire. Je mange un bout et me rapproche de Véro et Béné qui m’accompagnent quelques centaines de mètres, elles s’inquiètent un peu pour leurs hommes, ça fait un moment qu’ils n’ont pas pointé. Déjà une heure trente de pause, il me faut vraiment repartir, la montée du Taïbit, s’annonce comme un gros morceau 880 m de D+ à avaler. Petits pas à petits pas, je suis un groupe dont la progression me va bien, ça me rappelle un peu mes balades en rando où il faut être super calme et régulier pour monter jusqu’au col. C’est le milieu de la nuit, il faut maintenant basculer sur Mafate et plus précisément direction Marla.
Arrivé au poste de contrôle je suis 645ème un truc de dingue ! Voilà qui est bon pour le moral et la technique des petits pas a payé ! Fatigué je décide (enfin) de me reposer il est 20h30. Bon faut savoir et les copains m’avaient prévenus (merci Alain et Kiki) qu’à Marla, on ne dort pas…on essaie de dormir ! La sono est à fond, et les jeunes mafatais ne trouvent rien de mieux à faire, que de jouer au tour des tentes et se crier dessus. Je m’incruste entre deux dormeurs (ou dormeuses), juste le temps de quitter mes chaussures et de poser mon sac à dos, et sans en avoir vraiment conscience je dors profondément 30 mn. Un peu dans le gaz, je reprends « la route » direction le sentier scout, et comme je retombe sur Michel (un V3 parisien fort sympathique) croisé dans la montée du Taïbit. On discute un peu, on sympathise et on se tape donc le sentier scout de nuit. Pas plus de 50 cm par endroit et de chaque côté le vide ! C’est très impressionnant et pour tout dire parfois flippant, le risque de chute est omniprésent et on est déjà plus très frais (un coureur marseillais fera une chute mortelle non loin de là).
A roche plate, je suis 621ème c’est après que commence la célèbre ascension du Maïdo et ses 870 D+en 3km. Il est 6 heures du mat, le jour se lève et en avant Guingamp ! Dès le premier quart de la montée le soleil pointe le bout de ses rayons et mon moteur commence à surchauffer ! Il est 9heures, le soleil commence vraiment à taper. Je ne comprends pas, je commence à coincer alors que nous montons à un rythme de sénateur, et que je m’hydrate très régulièrement. Avec Michel et son copain Eric, on s’impose une pause à la moitié de l’ascension. On repart, je serre les dents, je ne suis pas au mieux, ça sera le 2ème et dernier vrai coup de bambou sur ce grand raid. (En même temps ça fait plus de 35 heures qu’on est parti…35 heures et sans RTT !)
Le ravitaillement après le sommet de tête dure est le bienvenu, malgré ma défaillance j’ai gagné une cinquantaine de places ! (d’autres doivent être au moins aussi mal que moi, certains qui étaient devant ont même abandonné). Bien remis et requinqué, je décide de repasser devant pour attaquer la longue longue descente vers Sans Souci. Le tempo est intéressant, on court là ou beaucoup marchent, et du coup on double et on ramasse. En 4 heures de descente on gratte 25 places. Musculairement les quadriceps commencent un peu à chauffer. Et bizarrement, je commence à ressentir une vieille douleur que mon cerveau avait oubliée, une petite gêne au niveau du tibia gauche. Ca me rappelle mon début de périostite il y a un mois et demi. Le mal devient de plus en plus sévère, je libère Michel qui galope comme un lapin. Au ravito de Rivières des Galets, mon grand copain Jean Pierre (et son célèbre Panama) m’attend, il a abandonné comme Jacky à Cilaos. Je me tords de douleur et mon vieux compagnon de marathon sent qu’il y a un souci. Direction la tente des kinés, le rougaille-saucisses attendra. En enlevant mon booster de mon mollet gauche, un magnifique œdème apparait. Mon tibia est très enflé, la kinée me strape, les larmes me coulent sur les joues, j’ai physiquement très mal, et j’ai du mal à encaisser que je suis blessé, il me reste (encore) 35 kms à parcourir sans pouvoir prendre appui sur mon pied gauche dans les descentes ! Mon pote Michel est reparti mais j’aperçois son copain Eric et je décide de le coller, un visage ami, un peu de réconfort, après celui de mon pote JP. Dans les montées et sur le plat ça va, dans les descentes je jongle. La nuit tombe nous sommes toujours 500 et quelques (inespéré !) Au ravito suivant je tombe sur Véro, Béné et Jacky venus me soutenir, ça fait du bien les copains merci !
Je grimace toujours autant dans les descentes, et parfois je jure même quand mon pied gauche bute sur une pierre ou accroche une racine « ça me fait mal jusque dans ma montre « ! Mon pote Eric n’est pas au mieux, il ne peut attendre d’arriver au ravito de la Possession pour dormir, il est 21 heures et on s’allonge tous les deux au détour du sentier, montre et téléphone sont programmés pour sonner une demie heure plus tard (quel repos, quel luxe !)Epuisés, nous dormons d’un sommeil profond et finalement c’est le froid qui me réveille quelques secondes avant que ne sonnent nos alarmes, il faut repartir. Cette pause improvisée nous a requinqué mais a mis en panique JP qui m’attend plus bas et qui s’inquiète de me voir arriver. Notre dodo nous coute une quarantaine de places. Tiens en parlant de dodo, j’ai demandé à JP de me trouver une bière locale (la dodo) et mission accomplie, j’avale quelques gorgées c’est un vrai bonheur (oui pour le cigare on verra plus tard !).
Sur le fameux chemin des Anglais le calvaire reprend pour moi : non seulement c’est nuit noir et il faut se concentrer pour prendre les bons appuis sur les rochers, des pierres bien disposées et bien plates qui se transforment parfois en éboulis : j’éructe ma haine anti british ! Pour me venger je fais exprès de marcher à droite !
Nous sommes à grande chaloupe, il est minuit et demie nous avons parcouru 156 kms, une dernière ascension vers Colorado puis une redescente vers la Redoute et c’est gagné. Une sorte de sanglot semble monter en moi, je sais que je vais y arriver que je vais toucher au but, mais non il ne faut pas craquer, ne pas imaginer maintenant l’entrée ultime sur la piste du stade et la ligne d’arrivée, rester concentré jusqu’au bout. Dernier pointage avant l’arrivée je suis 566ème. Il faut compter une heure et demie pour descendre en temps normal moi j’imagine mettre au moins deux heures et je préviens les copains présents au stade qu’ils ne s’inquiètent pas si c’est un peu long. Dans ma tête je veux rester accrocher symboliquement à l’idée de finir dans les 600 premiers, je ne peux en laisser me doubler que 43.Le chemin se fait en sous-bois, avec beaucoup de racines enchevêtrées et de pierres et rochers parfois un peu haut à franchir. Quelques trailers me doublent rapidement. Non ça ne va pas se passer comme ça. « Allez Vince donne tout ce que tu as, tout ce qui te reste ». Je m’accroche et ne cesse de jurer tellement j’ai mal, à mon tour je double des personnes en grande difficultés ou qui flippent dans cette descente technique surtout en pleine nuit. Finalement après 1H30 de descente (pas agréable du tout et qui empêche de savourer une arrivée sereine sur le stade que l’on aperçoit durant la descente) je pointe le bout de mes XA Pro 3 D complètement défoncées sur le stade, il est 5h25 du matin, et pas encore jour, je me retourne et vois que le concurrent suivant veut m’enfumer dans les derniers mètres. Qu’à cela ne tienne, il veut jouer et bien on va jouer (les souvenirs des séances du mercredi soir à Rebeillau remontent d’un coup à la surface) je me mets à mon tour à sprinter comme un dingue. Je franchis la ligne d’arrivée après 55h 25 mn et 49 secondes, moi qui pensais mettre 55h, je suis assez satisfait (et mon classement ne change pas, je suis toujours 566ème).
Je cherche vite les copains du regard, mais ne les trouve pas. Moi qui avais souvent imaginer franchir la ligne et tomber dans leurs bras et pleurant à chaudes larmes, je me retrouve un peu comme un con au milieu de tout ce monde, personne avec qui partager cette émotion. Finalement c’est de ma faute je suis descendu beaucoup plus vite que prévu et les copains ne m’attendaient pas de sitôt. Finalement Jacky arrive suivi de Véro et Béné et JP avec son appareil photo. La médaille au tour du cou, je peux enfin savourer ma Dodo.
Alors quels enseignements tirer d’une telle aventure et qui puissent servir à ceux qui ont pris la peine de me lire et qui crèvent d’envie à leur tour de porter le maillot « j’ai survécu à la diagonale des fous » :
- 1. S’être entrainé : avoir cumulé des kms et des kms, mais surtout bouffer des côtes jusqu’ à plus faim, et avaler des descentes jusqu’ à plus soif (je vous donne un tuyau le terrain de motocross de Buxerolles permet de bien s’amuser dans ce genre de trucs).
- 2. Ne pas se présenter un peu diminué physiquement ou en trainant une vieille tendinite mal soignée ou un début de périostite car c’est courir à la catastrophe.
- 3. Avoir conscience qu’il faudra avoir mal et l’envie de finir dans la tête, passer au-delà de la souffrance, bref ne pas avoir un mental de poisson rouge.
Voilà ce récit vaut ce qu’il vaut, j’avais adoré lire celui des copains du club, j’ai d’ailleurs beaucoup pensé aux compagnons de sortie et les messages durant la course ont été sacrément bienvenus.
Un grand merci particulièrement à jean Pierre qui a eu un jour la bonne idée de m’emmener au PEC et pas dans un autre club (et qui a assuré aux différents ravitos) et bien sûr merci à kiki qui a su me donner les bons conseils, me préparer les meilleurs plans. Ce grand raid m’a permis aussi de mieux me connaitre, non pas de dépasser mes limites mais de les connaitre tout simplement.
Allez bonne course et vivement d’autres belles aventures humaines et sportives !