Jeudi 18 octobre 20h30, me voilà au départ de la Diagonale des Fous parmi plus de 2800 coureurs. Je fais un point juste avant le départ. Je me suis bien reposé, en forme, et surtout entièrement satisfait de ma préparation. J’ai le sentiment d’en avoir fait le maximum, sans en faire trop. Les quelques pépins physiques que j’ai eu au fil de la préparation ne l’ont pas impactée et sont désormais oubliés. L’attente des derniers jours était longue, maintenant j’y suis, prêt comme jamais.
22h, le départ est donné, c’est parti pour la traversée del’île ! Je suis plutôt bien placé, à environ 20m de la ligne de départ, je dirais autour de la 500e place. Les premiers kilomètres sont incroyables, des milliers de personnes bordent la route et nous encouragent. Très vite le parcours s’éloigne du front de mer et prend la direction des montagnes. S’ensuit une longue ascension de 40km et 2000m D+, peu pentu et peu technique, idéal pour débuter la course. Au milieu les champs de cannes à sucre, les kilomètres passent vite. Après une heure de course je regarde ma montre, 10km. J’ai l’impression d’être tout juste parti, c’est bon signe. Les sensations sont bonnes, ça s’annonce bien. Je passe au premier ravitaillement, Domaine Vidot, puis au second, Notre Dame de la Paix puis au troisième, aire nez de bœuf. Je m’y arrête peu, entre deux à trois minutes, juste de temps de refaire le niveau de mes flasques et de prendre un verre d’eau. Pour ne pas me laisser impressionner par la distance, je ne me représente pas la course dans son ensemble mais comme une succession d’étapes dont chaque ravitaillement marque la transition de chacune d’entre elles.
Sur ce début de course, je me force à garder un rythme tranquille car comme certains disent, la course commence à Cilaos, au 65e km. J’essaierai donc d’y arriver le plus frais possible. Malgré tout, depuis le début de la course je reprends petit à petit des places. Après environ 6h d’effort, je termine cette longue ascension et m’engage sur la première descente avant d’arriver au
ravitaillement de Mare à Boue. Cette année, par chance, cette partie est sèche et donc très agréable à traverser. Je continue, et c’est une belle ascension qui s’annonce dans les coteaux de Kerveguen. La montée n’est pas facile, c’est pentu et rocailleux, mais le soleil se lève et je découvre que je traverse
de magnifiques paysages. Je parviens en haut et bascule dans le cirque de Cilaos, s’annonce alors une descente jusqu’à la base de vie. Bien qu’étant un adepte de la descente, celle-ci je la redoute. 2 km de descente et 750m de dénivelé négatif, c’est rude. Il y a des passages très raides, certains avec des échelles.
Je prends mon temps, tout va bien mais je commence à sentir que les cuisses subissent un peu. Sur cette portion certains coureurs me doublent avec une aisance déconcertante.
Je n’essaie pas de les suivre au risque de le regretter dès les prochaines côtes. La descente se termine et me voilà aux abords de Cilaos. J’arrive au stade, je récupère mon sac à la base de vie et me pose sur le stade, après un peu plus de 10h de course. Mise à part cette dernière descente, je me suis bien économisé et je reste confiant pour la suite. Après 30 minutes de pause consacrés à manger et me changer, je repars propre et en forme. C’est le moment de s’attaquer l’ascension du Taïbit avec ses 1200m de D+ sur 6 km. Il fait maintenant très chaud, je veille donc particulièrement à mon hydratation car je sais que c’est un point essentiel. Je prends un rythme constant, surtout ne jamais m’arrêter. Je vois les premiers signes de fatigue autour de moi, certains s’arrêtent et commence à avoir des crampes. Je suis l’aise en montée, et dire qu’il y a six mois c’était mon point faible, je me suis tellement concentré à améliorer ce point qu’aujourd’hui c’est l’inverse !
RAVITAILLEMENT AU PIED DU COL DU TAIBIT
Je passe le col du Taïbit, et là je vois…une mer de nuage. Dommage, je vais devoir attendre encore un peu pour découvrir le cirque de Mafate. Je redescends jusqu’au village de Marla où un ravitaillement m’attend. Après une courte pause, je repars et j’entame peu après la montée jusqu’au col de bœufs. Le col franchit s’ensuit une descente de 14km et 1100m de D-. Je me retrouve à suivre un coureur dont le rythme me convient bien, qui m’accompagnera au cours des trois prochaines heures. On avance bien dans cette descente, les sensations sont bonnes.
Je vois à ma montre que la mi-course vient d’être passée, c’est encourageant et motivant car jusqu’à présent tout va bien. L’euphorie que je ressens à ce moment ne va pas durer, car quelques kilomètres plus loin, subitement plus rien. Mon corps me lâche, je suis victime de la chaleur et d’une grande fatigue musculaire. J’atteins péniblement le ravitaillement Ilet à Bourse, au 97e km. Je prends quelques minutes pour me passer sous l’eau et reprendre mes esprits. Puis je me remets en route, c’est difficile mais j’ai tout de même un peu moins chaud. Je m’étais préparé à avoir un tel coup de fatigue, j’ai déjà connu ça pendant ce type d’effort. Je m’accroche, j’oblige mes jambes à avancer coûte que coûte, je sais que la forme va revenir. Alors que je pense revoir passer devant moi bon nombre de coureurs, ce n’est pas le cas. Je m’aperçois que ceux qui m’entourent sont dans le même état que moi, voire pire.
Je continue difficilement, prochain ravitaillement à Grand Place, dans trois kilomètres. La progression est compliquée mais j’y arrive déjà un peu mieux. Les pauses commencent à être plus longues, depuis que je ressens le besoin de m’asseoir à chaque ravitaillement elles approchent des 10 minutes. Je repars, et après quelques kilomètres j’entame la montée au Maïdo, soit 1500m de D+ en 11km. Après 500m de D+, le ravitaillement de Roche Plate me permet de faire une pause dans cette montée interminable. Pour la première fois les bénévoles m’annoncent ma place, 89e. Belle surprise, ça fait du bien au moral après ces 3 dernières heures très difficiles. Ça commence à aller mieux, je repars et me retrouve à nouveau seul, la nuit est tombée. Je sens que je suis revenu dans un état suffisamment bien pour aborder la dernière partie du Maïdo, la plus raide et la difficulté majeure de la course. De plus, la nuit m’évite de passer cette partie sous un soleil de plomb comme ce sera le cas pour beaucoup de coureurs, un avantage considérable. Je rattrape un petit groupe auquel je me greffe. On s’arrête quelques secondes à chaque quart de la montée, indiquée par une marque sur des rochers. Ça permet de souffler un peu et de faire passer un peu mieux l’effort, qui durera tout de même 2h15 sur cette dernière partie. Je vois au loin une lumière en haut du Maïdo, c’est le col que je dois franchir et où du monde doit probablement encourager les coureurs. Ça semble tellement loin…je me reconcentre pour ne plus y penser et me replonger dans ma bulle. L’ascension terminée, je relance sur le sentier maintenant plat jusqu’au ravitaillement. Que c’est dur pour les jambes, je n’arrive plus à avancer. Je me ravitaille rapidement et entame la descente jusqu’à la prochaine base de vie, au village de Sans-Souci. 13km et 1600m D-. Elle me parait interminable avec ses innombrables marches qui commencent à me faire mal aux pieds. Je commence à ne plus les supporter, je n’en ai jamais vu autant sur une course, il y en a des milliers !
J’arrive enfin à la base de vie après 25h de course. Je me pose quelques minutes en profitant des crêpes que nous préparent les bénévoles, un régal. Ça fait un bien fou à la tête et au corps. Je me dirige ensuite vers les tentes où je récupère mon sac contenant vêtements et ravitaillement personnel. Un podologue voit mes pieds et me convainc de prendre quelques minutes pour y apporter des soins. J’accepte, un peu plus de confort pour les 50 derniers km ne sera pas de trop. Et puis c’est l’occasion de m’allonger 10 minutes, c’est déjà ça. Je repars après 30 min de pause. Je m’étais imaginé dormir un peu à cette base de vie mais je n’ai pas sommeil, donc je continue. Une douleur à une cheville apparait, elle est due au frottement de mon manchon de compression sur la malléole, ce qui me vaut un bleu. Je ressens la douleur à chaque pose de pied, il reste 50km, ça me parait tenable. J’arrive tout de même à garder un rythme correct. Je traverse la rivière des galets, une épreuve que je tiens à réussir pour ne pas finir la course avec les pieds mouillés. C’est bon ! Et c’est parti pour une montée jusqu’à Dos d’Ane, 600m de D+ en 10 km. Alors que je termine juste la côte, la fatigue arrive d’un coup. Je me sens complètement épuisé, c’est maintenant la tête qui a besoin de repos. C’est une nouvelle course qui débute. Je devrais peut-être dormir quelques minutes, mais l’idée ne me traverse même pas l’esprit. J’ai parcouru 135km, Il en reste 30, j’ai l’impression d’y être presque… en réalité je mettrai plus de 7h pour terminer. Débute alors une lutte de chaque instant dans ma tête. Je savais que la fatigue serait une des grosses difficultés pour moi. N’ayant jamais couru si longtemps, je suis dans l’inconnu. Pour m’aider à m’accrocher dans cette situation je me suis fixé une règle, qui consiste simplement à m’interdire d’abandonner quelle que soit mon état physique et mental. Ça m’a déjà été utile par le passé, maintenant également car je me rends compte que c’est ce qui me permet de passer au-delà de toutes les difficultés auxquelles sont sujets mon corps et mon esprit. Il y a d’un côté l’envie de tout arrêter pour pouvoir dormir et quitter cet état de fatigue et de douleur tellement inconfortable. Et de l’autre cette voix au fond de ma tête, que je ne contrôle pas et qui me pousse à avancer encore et encore. Dans ces moments, je pense aussi à celles et ceux qui me suivent, dont certains espèrent au moins autant que moi me voir franchir la ligne d’arrivée. C’est alors que je poursuis ma course avec la descente du chemin Ratinaud, le sentier de la Kala avant d’atteindre le ravitaillement de la Possession.
La portion suivante n’est pas évidente non plus, il s’agit du chemin des Anglais, une voie pavée vallonnée longue de 6 km.
Comme tous les chemins depuis quelques heures, ça me parait interminable. L’avantage avec la fatigue, c’est que désormais les douleurs physiques sont secondaires et très atténuées. La pluie commence à tomber, le jour se lève, et j’arrive au ravitaillement de la Grande Chaloupe. Je repars rapidement pour me confronter à la montée du Colorado, 9km et 900m de D+. C’est la dernière, mais que c’est difficile, je n’en vois pas la fin…je commence même à avoir quelques légères hallucinations, ce qui ne m’inquiète ni me surprends pas, je savais que ça pouvait arriver. Après près de 2h30 d’ascension j’atteins le sommet et m’engage dans la dernière descente, 5km jusqu’à l’arrivée. Une fois encore, ça me parait très long, jusqu’à ce que je retrouve la route toute proche de l’arrivée au stade. Il est 9h du matin, il fait à nouveau très beau, les conditions sont excellentes pour terminer cette belle et difficile course. J’entre dans le stade puis franchis la ligne après 35 heures, 8 minutes et 34 secondes de course, en 89e position.
A ce moment une seule chose me vient en tête : je l’ai fait !
ARRIVEE SUR LE STADE DE LA REDOUTE
Pas d’émotions fortes, pas de larmes, pas d’effusion de joie, je suis trop épuisé pour ça. Juste la satisfaction d’en avoir terminé, d’avoir franchi cette ligne à laquelle je n’ai cessé de penser au cours de ces 8 dernières heures.
Bilan à froid :
Au terme de cette aventure, c’est une grande satisfaction qui qualifie le mieux ce que je peux ressentir. Celle d’avoir osé me lancer à moi-même cet incroyable défi, celle d’avoir fait le maximum pour me préparer du mieux que je le pouvais, et bien sûr celle d’être parvenu à franchir la ligne d’arrivée après avoir fait une course dont je n’aurais pas pu espérer meilleur résultat. Un résultat dont je suis très content mais qui en réalité n’était pas l’objectif principal, du moins pour cette première expérience, tant la dimension humaine prend une part importante. Que ce soit d’un point de vue personnel, avec le fait de me dépasser, de gérer mes émotions, d’apprendre à me connaitre un peu plus, de sortir de ma zone de confort…mais aussi avec le partage présent du début à la fin de ce projet, à commencer par la préparation et les entrainements avec des gens aussi formidables que passionnés. Et pendant la course, avec les nombreux spectateurs qui encouragent chaque coureur comme s’il était un champion, ainsi que les bénévoles qui font leur maximum pour nous mettre dans les meilleures conditions possibles. Et enfin les coureurs eux-mêmes qui n’hésitent pas à se soutenir et s’entraider tout au long de la course. A mon sens, cette aventure n’est en rien un aboutissement comme je me l’étais imaginé il y a quelques années, mais bel et bien une première expérience tout à fait concluante
Vous pouvez également retrouver sur les liens ci dessous :
- VIDEO DE L'ARRIVEE DE CLEMENT MOUSSET A LA REDOUTE : ICI
2 AUTRES ARTICLES
-
DIAGONALE DES FOUS 2018 - CEMENT MOUSSET - PETITE REACTION A CHAUD : ICI (22 Octobre 2018)
-
DIAGONALE DES FOUS 2018 - BRAVO A NOTRE CHAMPION - CLEMENT MOUSSET : ICI (20 Octobre 2018)
commenter cet article …