HAPPY END
2005 : Randonnant sur les sentiers Réunionnais avec Thierry Z un copain de longue date, nous sympathisons avec Christian et Maryvonne en pèlerinage sur le grand Raid 2002.
Nous écoutons avec envie Christian raconter sa Diagonale le soir au gîte. Thierry Z s'imagine déjà sur une Diagonale en sa compagnie. Moi, coureur du dimanche venant de traverser Mafate, je me dis qu'il faut bien être fou pour envisager pareille aventure. Je me laisse cependant convaincre pour le marathon de Paris et je verrai...sauf que les inscriptions à la Diagonale débutent avant ce marathon, bref je finis par m'inscrire à la Diagonale 2007. Maintenant, il va falloir s'y préparer...
J'aime les défis, me voilà servi. Christian me conseilla et me donna confiance. Je savais que je m'engageais pour l'impossible mais avec la ferme intention d'aller au bout. Ce fut trois semaines formidables passées à la Réunion et mon début réussi en ultra trail.
Fort de ce succès, j'ai poursuivi avec l'UTMB 2008, la TRANS AQ' 2009, le MDS 2010. De toutes ces courses, le moment le plus émouvant reste la signature en 2007 du registre permettant de récupérer son dossard.
2008: début d'un conflit d'Haglund causant une sorte de tendinite plus ou moins gênante à la cheville gauche. Pas de rémission possible sans opération.
2012: une saison d'hiver à chercher en vain à progresser sur route et toujours cette blessure de plus en plus gênante. J'ai retrouvé Christian et les amis du PEC sur le Grand Trail de Stevenson pour préparer la Diagonale 2012. Dur, très dur, j'ai compris alors que cette Diagonale était peut-être la course de trop. J'allais sans doute gâcher mes plus beaux souvenirs. Néanmoins, je suis reparti ultramotivé, le plus important pour terminer un ultra-trail. C'était début juillet il n'y avait plus de temps à perdre.
La Diagonale pour un coureur comme moi c'est quoi ?
Une randonnée rapide de 170km hyper accidentée, 10 800m de dénivelé. Ça va prendre 3 nuits et 2 jours. Il faut des jambes solides, de l'endurance, préparer les pieds et avoir le nécessaire dans son sac sans se surcharger. Partant de ce constat, j'ai beaucoup marché, privilégié les sorties longues, mélange de vélo et course à pied et avalé le plus de dénivelé possible. Pas de fractionné traumatisant pour ma cheville. La spécificité est un principe essentiel de la préparation.
Ma course
Après une bonne heure d'attente pour passer le sas du contrôle, j'ai perdu les copains. Les sacs de ravitaillement promis la veille : "y'en a pas mais si vous voulez vous pouvez fermer les vôtres à l'aide de scotch" ! Le ravitaillement ? rien de tentant. Le petit pipi d'avant course, essayer de retrouver les autres, peine perdue y a trop de monde et il faut maintenant avancer pour essayer de ne pas perdre trop de temps au départ. J'aperçois alors Thierry Z, super on est deux ! Continuer à avancer ; Christian est certainement devant avec les autres mais rapidement on est bloqué, ça bouscule. Je m'asseois il reste plus de 30mn avant le départ.
Enfin libre, le départ est donné. L'aventure commence... Ça bouscule, on double, on nous double bien sûr tout le monde veut éviter de se faire coincer dans la montée du volcan. Ça va trop vite mais tant pis, il faut rester placé. Un peu de pluie c'est bien ça va rafraîchir! Un peu plus tard Christian nous double, il n'a pas pu s'avancer au départ. Il nous a certainement cherché trop longtemps, bonne route à lui. Enfin nous attaquons les pentes du volcan. Thierry Z a ralenti, je suis seul, je rentre dans ma bulle, gérer ma course, le reste ne m'intéresse plus. Il pleut fort, nous sommes trempés,
Heureusement coupe vent et sous peau sont à l'abri dans un sac plastique, ça piétine, ça essaie de doubler, il y a de la tension. Tiens, quelque chose vient de tomber de mon sac, le coupe vent, erreur de jeunesse j'aurais du mettre les fermetures sur le côté et pas sur le dessus, le sac s'est ouvert tout seul, pas sympa le mec derrière il aurait pu me le signaler.
J'enfile mon coupe vent et referme le sac tout en marchant, c'était le bon moment, nous arrivons doucement vers le sommet, le vent souffle, il commence à faire froid. Ravitaillement de Focfoc, une bonne soupe, j'enlève les graviers de mes chaussures, il pleut toujours, ne pas traîner dans le froid. C'est reparti. La capuche restreint mon champ de vision. Levant la tête j'aperçois une ligne de frontales à une centaine de mètres sur ma droite, j'ai pris une mauvaise trace. Je commence une courbe du chien pour revenir vers les autres et m'enfonce dans du gravier, encore plein les chaussures! Tant pis ça attendra. La raison l'emportant, je finis par me déchausser sur le bord du sentier.
Mare à Boue : content de retrouver les militaires, il pleut toujours, il fait froid, je mange et me réchauffe. Repartir de suite ? Quel temps fait il ? Il pleut fort, c'est la levée du jour, il fait froid. Un petit tour sur un lit de camp en attendant le soleil ? on peut rêver ! Même le lit est trempé n'empêche 30 mn ça me fait du bien, nous allons retrouver le soleil, eh bien non il va falloir prendre soin de soi et garder le moral. J'ai déjà les entrecuisses à vifs et les pieds souffrent. Seule bonne nouvelle un bénévole annonce du beau temps à Cilaos. La montée dans la boue encore de la boue, ça glisse, la pluie a cessé. Au gîte du piton des neiges, je change de chaussettes, graisse mes pieds, c'est reparti.
Cilaos : prendre son temps sans traîner. Une bonne douche pour commencer, graissage des pieds ; Une fois changé une nouvelle course commence ! Direction la cantine, "reste de rougail saucisse, sinon du poulet d'ici 10 mn" va pour les restes, repas frugal mais bon choix car quand le poulet est arrivé tous les coqs lui ont sauté dessus, belle pagaille ! Quelques étirements, je m'apprête à repartir quand Jean-Claude de Compiègne me propose de faire route avec lui, il a oublié sa frontale à un ravitaillement. Ayant une frontale de rechange dans mon sac de support de Cilaos, je retourne aux sacs et nous partons. Sur la route, il retrouve sa compagne qui a acheté une frontale, bisous bisous ça y est on est reparti pour de bon, la nuit tombe. Après le petit ravitaillement sur la route au pied du Taibit, je repars seul pour l'ascension restant calé derrière un groupe pour la fin de la montée. Dans la descente vers Marla mes jambes vont bien. Marla où en 2007, sans la bienveillance d'un bénévole, j'aurais abandonné victime d'hypothermie, là je suis bien. Col de Fourche puis sentier Scout ce serait bien de dormir mais pas de place, il faut attendre. Attendre et prendre froid mieux vaut continuer vers Ilet à Bourse.
Oui mais il faudra dormir sur une bâche, l'humidité est tombée, "pas de couverture sauf les couvertures de survie, je vous préviens il fait froid". Très bien. Passé les premières minutes de bonheur, le sol est quand même dur, j'ai du mal à trouver une position confortable, une couverture de survie c'est bruyant, mon voisin n'apprécie pas et me le fait savoir. Soudain il s'agite victime d'une crampe mdr ! Puis il finit par se lever et repart en râlant. J'ai froid, je ne parviens pas à dormir, repos raté.
Grand Place les Bas, le jour se lève, il va faire beau et chaud. Je vais essayer de passer le Maïdo avant la forte chaleur sauf que je ne me sens pas si bien que cela. Je peine à rejoindre Roche Plate, je bois beaucoup et je suis à sec au ravitaillement, ça promet pour le Maïdo. Je me repose un peu. Il me faut du salé, j'avale un stock de Tuc et je bois.
En route pour le Maïdo, il fait chaud et ce que je craignais arrive. Les jambes vont bien mais le coeur s'emballe, incroyable je n'arrive pas à réguler mon effort, je suis à la dérive, pas d'autre choix que faire des pauses, éviter le malaise et arriver au-dessus. Conseil d'un bénévole, rester le long de la paroi. Quelle idée de décaler le ravitaillement à plusieurs centaines de mètres du sommet ! Evident pourtant, pour la tranquillité.
Direction Sans Souci mais toujours pas bien , dès le moindre dénivellé ça recommence.
J'envie un Réunionnais allongé sous un arbre et si je faisais comme lui ? C'est fait j'ai trouvé un endroit à l'ombre avec de l'herbe bien grasse, il fait bon quel bonheur. Je pense d'ailleurs qu'il nefaut pas hésiter à prendre de courtes pauses sans doute plus profitables que chercher à dormir coûte que coûte.
Repartant doucement, je décide de faire l'effort de suivre quelqu'un qui alterne marche et course sur cette portion roulante et descendante, la forme revient.
Je rejoins Rivière des Galets Halte Là à un bon rythme et demande mon classement. Heureuse surprise je suis 494ème. Je vais me laver les pieds au robinet, détend mes pieds dans l'herbe, graissage pas encore d'ampoules mais c'est pour bientôt, changement de tenue, riz poulet sans oublier mes noix de cajou enfin un vrai repas, quelques étirements le tout dans l'heure que je m'accordais. Sauf blessure je terminerai. Mon objectif à présent est de terminer dans les 500 même si avec ce repas j'ai reperdu pas mal de places. Deux repas seulement en deux jours, s'en priver serait une erreur.
Chemin Ratineau, début de la 3ème nuit. Content de voir le Moineau à la Possession, un petit bisou. Le long de la nationale de nombreux coureurs se reposent et se restaurent grâce à leur assistance perso. Et me voilà sur le Chemin des Anglais de nuit quelle galère ! Je me tords les pieds, début des ampoules et concentration pour éviter la chute. Surpris, deux gazelles du trail Bourbon m'ont dépassé en trottinant et discutant, pour elles c'est la promenade des Anglais! J'arrive à la Grande Chaloupe
épuisé nerveusement par ces pavés. Trop c'est trop, direction le lit de camp, fermer les yeux, décompresser, «à quelle heure je vous réveille ?» Je reste très peu de temps mais si je m'endors, laisser moi dormir. Je préviens le Moineau que je me repose. 30 mn plus tard la forme est là ; Direction le Colorado, je remonte au classement. En fait, je ne vais pas plus vite je dépasse soit des coureurs blessés soit des coureurs épuisés car cette Diagonale est particulièrement longue. Colorado objectif atteint, un coup de fil au Moineau pour lui annoncer mon arrivée, assurer la descente vers la Redoute, je suis heureux, c'est mon dernier ultra à 55 ans, ce n'était pas la course de trop, 448ème au classement mieux qu'en 2007 et 52h56mn.
La Diagonale reste pour moi la plus belle des courses pour la beauté des paysages et la gentillesse des Réunionnais.
HAPPY END